Politiquement incorrect, Marianne ? Mon oeil !

Publié le par Brath-z

Le Marianne de cette semaine fait sa "une" sur les vrais-faux "politiquement incorrects" de Eric Zemmour à Clémentine Autain en passant par Jean-Marie Bigard. C'est louable. Bien trop souvent aujourd'hui on rencontre de faux "rebelles" plus poseurs qu'autre chose, qui "squattent" le créneau de la "résistance à la pensée unique". Il s'en trouve de tous les bords et dans tous les domaines, y compris dans les sciences les plus "dures".
L'hebdomadaire Marianne s'est donc fixé comme objectif la dénonciation de la "pensée unique" et la lutte républicaine pour la restauration du pacte social. Soit. Mais quand dans un même numéro on met en lumière l'infatuité d'une bande de tartuffes en même temps qu'on fait de la lèche à son ancien patron, ça gène aux entournures.

Déjà, il y a quelques temps, je me demandais ce qu'il arrivait à Marianne.
Comprenons-nous bien : ce qui fait la richesse de cet hebdomadaire, ce n'est pas la rigueur de ses analyses, la pertinence de ses saillies ou la neutralité de son point de vue. Honnêtement, ce journal pas plus qu'un autre ne peut prétendre à ces qualités (pourtant proclamées à corps et à cris par la corporation des journalistes indépendants qui ne peuvent pas plus y prétendre, pas même Laurent de Boissieu qui n'est pourtant pas le moindre d'entre eux, à mon humble avis). C'est au contraire de la multiplicité des points de vues que le lecteur peut tirer des enseignements un peu synthétiques : nationaux-républicains transfuges de Globe, centristes libéraux classiques de l'Évenement du Jeudi, communistes de l'Humanité, libéraux conservateurs du Figaro, socio-démocrates du Monde, ..., qui tous ont trouvés refuge dans un hebdomadaire non pas "objectif" et "non partisan" mais "multi-partisan".
Alors le ralliement à François Bayrou pendant la présidentielle m'avait décontenancé (j'avais même à l'époque mit fin à mon abonnement, considérant que si Marianne devenait un journal "centriste" comme le prétend être son cofondateur devenu chroniqueur Jean-François Khan, autant me contenter des tracts du candidat UDF). Le psychologisme de son numéro le plus connu aujourd'hui ("le vrai visage de Sarkozy") m'avait déçu bien plus encore. Occultant intégralement l'aspect socio-économique des positionnements du candidat UMP, cette sacralisation de la psychologie et de la personnalité avait quelque chose d'assez rebutant. Et puis face à l'avanie des autres organes de presse qui l'agonirent, à cette occasion, d'injures, je me rendis compte que, tout de même, il avait touché juste. Je repris donc mon abonnement, en espérant que le psychologisme à tout cran ne deviendrait pas la règle. Ce fut presque le cas.

Désormais, à Marianne, on s'occupe de dénouer la psychologie des grands de ce monde et des petits de ce pays. Si le numéro sur les relations entre "Sarkozy et les femmes" ("Il ne sait pas leur dire "non" !" clamait en sous-titre ce numéro) peut être intéréssant dans la mesure où il expliquait la totale soumission de la diplomatie française à l'allemande, le maintien contre toute raison de Rachida Dati au poste de ministre de la justice, l'hexibition forcené de la vie privée du couple présidentiel, l'analyse psychologique ne remplace pas l'analyse socio-économique ou historique. Elle la complête.
Ainsi, prétendre que les différends diplomatiques entre la France et les Etats-Unis d'Amérique sont uniquement dus à l'antipathie régnant entre les présidents Sarkozy et Obama relève d'un aveuglement phénoménal. Quand dans trois numéros consécutifs l'édito de Maurice Szafran y fait référence, on peut se demander si l'occultation n'est pas planifiée, qu'on s'y livre parce que c'est "concensuel". La France n'est pas les Etats-Unis, et vice versa. Leurs intérêts, le plus souvent, sont inconciliables, et les rares fois où j'ai l'impression que notre président se montre à la hauteur de sa tache, on nous explique doctement que c'est parce qu'il veut se démarquer de M. Obama, vis-à-vis duquel il entretiendrait une trouble relation de mimétisme et de concurence. Sottises. M. Sarkozy a été élu grâce au soutien d'entreprises privées, de grands groupes qui ont des intérêts et n'y sont pas aveugles, et qui orientent subtilement la diplomatie et la politique extérieure française dans leur intérêt (ce qui est une grande tradition française depuis Louis XIII), lequel croise souvent sur sa route et en sens inverse celui des entreprises et groupes états-uniens. L'aspect psychologique est, ici, clairement secondaire.

Cet exemple (courant, comme je l'ai mentionné) n'est que le symptôme d'une dérive (comme disent, justement, les journalistes de Marianne). Celle de la perte de sens du politique, que les médias d'information accompagnent, d'abord - et de manière radicale - la télévision, ensuite, de plus en plus, la presse écrite. N'étant pas grand auditeur de radio (à part pour quelques rubriques humoristiques, culturelles et musicales diffusées par Radio France ou par quelque radio locale), je ne peux pas juger de la perte de sens sur ce média, mais je suppose qu'elle y a lieu là comme ailleurs. Internet présente cette particularité de préserver durablement son contenu et de réunir des visions diverses et variées dont on peut arguer que certaines d'entre elles échappent à cette dérive ("sur Internet on trouve tout et n'importe quoi, c'est vrai, mais dans les médias, aujourd'hui, on ne trouve plus que n'importe quoi", comme dit dans son style lapidaire et peu ornementé le polémiste Alain Soral).
En plus, il y a l'exploitation honteuse de la tendance apparente à l'amnésie à très court terme (je ne sais pas si elle est réelle - auquel cas j'appartiens à une élite qui y échappe - ou bien supposée pour permettre à des journaux de se dédire d'un numéro à l'autre sans avoir à se justifier ni s'excuser - ce que j'aurai tendance à croire, ne me considérant pas comme particulièrement supérieur à mes semblables). Qu'on en juge : le numéro d'il y a trois semaines titre sur la "rebelle du gouvernement" Rama Yade, pourfendeuse de droite du gouvernement, superbe (dans tous les sens du terme, elle est agréable à l'oeil et n'est pas dénuée d'un certain sens de la tyrannie, au moins verbale), qui ne tient que par sa fougue et son assurance. Cette semaine, elle est simplement remise à sa place : opposante "officielle" du régime (puisque le PS ne semble pas près d'assurer sa mission d'opposition, que le MoDem et Europe Ecologie sont encore trop faibles pour cela, que le FN est en perte de vitesse, tout comme le NPA, et qu'il n'est pas question de porter attention au Front de Gauche avant qu'il ait atteint les 10%, ce qui ne manquera pas d'arriver si on continue de l'ignorer), concensuelle et arriviste (et arrivée, même si mon petit doigt me dit qu'elle peut encore gravir des échelons), avant tout soucieuse de forme car son opposition, sa "rebellitude", sont toutes deux exclusivement formelles.

Pour achever ce portrait en creux de ce qui reste de journal d'opinion généraliste indépendant des forces économiques (65% de ses actionnaires sont ses propres journalistes ; à noter tout de même que 25% du capital du journal est détenu par un lobbyiste d'un groupe d'investissement multisectoriel) à forte diffusion, je reviens sur le numéro qui a motivé cet article : celui de cette semaine.
Parce que franchement, c'est ne pas manquer d'air que de dénoncer la posture du politiquement incorrect (qui est le pendant intello-médiatique des iconoclastes du milieu artistique, de l'impertinence des animateurs télés, de l'insoumission du culturo-mondain et de l'antisystème des politiques de carrière) et de l'opposer à un "vrai" politiquement incorrect ("vrai" car acceptable ? concensuel ?), celui de Jean-François Khan, détenteur par le biais de Marianne Finances de 20% du capital du journal (également 20% pour son partenaire financier Maurice Szafran), fondateur, ancien rédacteur en chef et aujourd'hui chroniqueur depuis le carambolage électoral de son passage chez Bayrou.

Politiquement incorrect, Marianne ? Mon oeil !

Publié dans Mots d'humeur

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